18.10.2010

Le Pr. Juvin "n'est pas encore parti" de Beaujon, mais son service des urgences va toujours très mal ...

juvin-Beaujon.jpgHaute tension aux urgences de Beaujon

Christel De Taddeo - Le Journal du Dimanche 18 octobre 2010


Agressions, manque de personnel… A l’hôpital Beaujon de Clichy-la-Garenne, en proche banlieue parisienne, les équipes de nuit tirent la sonnette d’alarme. Sans avoir l’impression d’être entendues.

De larges bandes adhésives s’entrecroisent sur la porte vitrée. Enserrée par l’obscurité, l’entrée des urgences découvre ses sutures sous une lumière blafarde. L’équipe de nuit se presse entre les box combles et les coursives, où plusieurs patients ont été parqués sur des brancards. Au milieu des blouses blanches déambule un agent de sécurité qui, depuis près de deux semaines, assure une présence permanente dans le service entre 19 heures et 7 heures du matin.

Dans la nuit du 26 au 27 septembre, un patient a menacé une infirmière avec une arme. L’homme s’était présenté une première fois dans la soirée avec des amis pour une luxation et avait demandé à voir immédiatement le médecin. Après avoir réussi à entrer dans le service – dont l’accès est censé être protégé par une porte munie d’un Digicode – et après une première intervention du service de sécurité, puis de la police, le jeune homme est repassé vers 2 heures du matin. Armé d’un pistolet de défense, il braque alors l’infirmière qui se trouvait à l’accueil.

A la suite de cette agression, syndicats et direction se sont opposés lors d’un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) extraordinaire, réuni jeudi 30 septembre en présence du chef de service ( ndlr : en partance)  le professeur Philippe Juvin (ndlr : maire de La Garenne-Colombes, député européen, secrétaire national de l'UMP + quelques autres fonctions ...). "On nous prend pour des pions et cela fait des années que ça dure", peste un aide-soignant. "Ils ne bougeront que lorsque l’un de nous aura pris une balle ou un coup de couteau", marmonne un agent hospitalier.
"La nuit, c’est un autre monde"

Adossée au mur du sas des ambulances, Laurianne tire sur une cigarette. Il est 3 heures du matin. Bras croisés sur sa blouse blanche, la jeune infirmière peut faire enfin une courte pause. "Je tiens le coup en pensant que je me barre bientôt." Laurianne en a marre. Elle a été agressée à deux reprises pendant son service. La première fois, une nana lui a balancé un extincteur à la tête avant de lui asséner deux coups de poing en pleine figure. Dernièrement, une gamine de 18 ans lui a sauté dessus pendant qu’elle était en train d’appeler la sécurité qui, "ce soir-là, ne répondait pas". "Elle m’a jetée contre le mur et m’a tabassée", raconte Laurianne, qui a alors décidé de demander sa mise en disponibilité. La mutation? "Deux de mes collègues la demandent depuis deux ans." Elle part à la fin du mois.

La violence est au cœur de leur quotidien. "Entre collègues, on en discute, glisse Laurianne. Ça nous fait du bien, mais il faudrait pouvoir en parler davantage." Se faire entendre aussi. Elle se souvient: "Lorsque les urgences ont été caillassées, le cadre nous a rétorqué: 'Vous n’avez qu’à mettre des cartons derrière les fenêtres'. Il a fallu qu’un chirurgien se fasse fouetter à coups de ceinture et qu’un des bancs de la salle d’attente vole contre la vitre du poste d’accueil pour qu’ils se décident à nous dédier un maître-chien." A Beaujon, "quand on connaît un peu, il est possible de rentrer et sortir comme on veut", répète le personnel.

Le manque de soignants et la dégradation des conditions de travail sont invariablement évoqués.

Le passage de dix à douze heures par nuit, imposé par la direction contre l’avis du CHSCT, en dépit d’un rapport d’expertise sans équivoque, a laissé des traces. "La direction nous avait parlé d’un suivi. Nous n’en avons jamais eu aucun", rapportent les infirmiers. Certains saturent. "La nuit, c’est un autre monde: beaucoup de patients sont en état d’ébriété, se montrent agressifs; certains allument leur clope dans le box, d’autres font leurs besoins dans le couloir, raconte Laurent, un des aides-soignants. Les infirmiers sont d’autant moins à même de supporter toute cette violence au quotidien qu’ils sont épuisés."

Dans leur petite cour des miracles, ils réalisent pourtant des prodiges.
"Nous n’avons plus un seul brancard avec des freins qui fonctionnent, confie Laurianne. Lorsque nous devons réanimer un patient, l’un de nous doit tenir le brancard pour qu’un autre puisse entreprendre le massage cardiaque."
"S’il faut faire des points, on appelle l’interne"

La semaine, après minuit, le service fonctionne sans chirurgien. "S’il faut faire des points, on appelle l’interne en médecine, même si la plupart n’ont pas fait de stage en chirurgie", rapporte une ancienne.

Depuis le mois de septembre, plus de psychiatre de garde non plus. Dans le recoin d’un couloir, une jeune femme, immobilisée sur un brancard, hurle: "Détachez-moi! C’est quoi, ça? Je veux rentrer chez moi." Elle devra attendre de voir le psychiatre… le lendemain matin. "Nous faisons du stockage, ironise une infirmière. Nous accueillons beaucoup de patients violents avec des problèmes psychiatriques, mais nous ne disposons que de quelques brancards équipés de sangles; il nous arrive de ne pas en avoir pour toutes ces personnes potentiellement dangereuses et de devoir en contentionner certains avec de l’Elastoplaste…" Elle hausse les épaules: "Cela se terminera mal."

La théorie de la vitre brisée ...

La porte de l’entrée des urgences de Beaujon, vendalisée depuis près d’un an et demi, n’a toujours pas été remplacée.

tension-urgences-hopital-Beaujon-Clichy-la-Garenne.jpgUn diagnostic de sûreté, établi par la direction départementale de la sécurité publique des Hauts-de-Seine en 2008, désignait déjà le service des urgences de l’hôpital Beaujon comme un "point particulièrement sensible" qui "cristallise à lui seul la majorité des incidents à déplorer sur le site, particulièrement la nuit". Réalisé à la demande de l’ancienne direction, ce rapport proposait un certain nombre de conseils ou préconisations. Et évoquait la théorie de "la vitre brisée" pour expliquer que "les déprédations laissées sans réponse par la puissance publique sont à l’origine de la détérioration des quartiers, entraînant de fait une délinquance plus dure et plus visible". Or la porte vitrée, à l’entrée des urgences, est brisée depuis un an et demi.


Manifestation contre la fermeture des urgences de Beaujon



Interpellée en CHSCT, la directrice de l’hôpital, Anne Costa, a indiqué avoir "zéro euro" pour la remplacer. Interrogée par le JDD, elle assure désormais que le nécessaire sera fait pour renforcer les accès sans pouvoir donner de précisions sur le dispositif qui serait mis en place. Les syndicats sont sceptiques, convaincus que si la direction n’a pas consenti les investissements nécessaires en matière de sécurité, c’est parce que le service est appelé à disparaître en deux temps – la nuit pour commencer – dans le plan de restructuration de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris. "C’est une thèse, ce n’est pas une vérité", coupe Philippe Juvin, le chef du service, annoncé depuis plusieurs mois à la tête des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou. "Je ne suis pas parti, se défend le député européen. Et lier mon éventuel départ à l’avenir des urgences de Beaujon, c’est me donner beaucoup de pouvoir."