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31.03.2009

Les enfants humiliés de La Garenne-Colombes et de Montigny-lès-Metz

Le monde est au pouvoir de gens qui n'étaient pas faits pour le bonheur, disait Bernanos. Que c'est juste !


Deux collèges en France portent aujourd'hui symboliquement le nom du journal de guerre de ce même Georges  Bernanos (1939) "Les enfants humiliés" :

- le collège de La Garenne-Colombes, pas encore ouvert et déjà frappé du déshonneur de porter le nom de Kleber Haedens, qui n'aimait ni la République, ni les enseignants, ni les juifs,

- et le collège de Montigny-lès-Metz qui rendait hommage à Georges Bernanos mais que le Conseil général de Moselle a décidé de fermer. Pas parce qu'il s'appelait Bernanos, non, pour raison d'Etat -ou petite magouille locale.

Ses élèves l'ont officiellement rebaptisé : Les enfants humiliés
Passez voir leur blog : http://bernanosendanger.over-blog.com/

col-bernanos.jpg
Eléves et enseignants se sont battus ensemble et ont, semble-t-il gagné ! Bravo.

"Montigny sans Bernanos c'est comme Titi sans Grosminet" Justine 6e2

A propos de Bernanos, un lecteur est venu ici déposer en commentaire un très bel argumentaire auquel je voudrais faire honneur.
Dans la ville où le maire aime tant "offenser les sots", d'autres, heureusement, pensent qu'une belle argumentation vaut mieux que n'importe quelle affirmation. Jamais, jamais, ici sur ce blog, nous ne nous lasserons de rendre hommage à ces gens-là.

Lisez ce qui suit et encore merci à ce lecteur inconnu.

Que “Je suis partout” ait été un ignoble journal de propagande collaborationniste, il n’y a strictement aucun doute sur ce point. C’est un fait historique incontestable. Votre nausée est donc parfaitement compréhensible. On vomirait d’ailleurs à moins...
Pour ce qui concerne  Kleber-Haedens, je ne le connais pas, et ne suis donc pas en mesure d’apporter le moindre commentaire à ce sujet. Par contre, je puis prétendre connaître un peu Georges Bernanos, en tous cas suffisamment pour compléter mes propos qui précèdent, et auxquels vous avez souhaité répondre. Je sais aussi que vous avez désiré évoqué le parcours de cet écrivain, en réponse à une citation faite par M. Philippe Juvin pour justifier sa propre démarche. C’est votre droit, d’autant plus que Bernanos n’appartient à personne, et surtout pas aux politiques qui pourraient avoir l’intention de l’instrumentaliser (cela a toujours été le cas, à gauche comme à droite...).


Cependant, si j’ai souhaité intervenir dans votre débat, c’est parce que votre transcription, sincère, de l’itinéraire de Bernanos, si elle constitue dans l’ensemble un hommage, contient quelques contre-vérités qu’il convient de rétablir. Vous ré-utilisez en effet les mots mêmes de Jean Daniel, qui étaient très précisément (et très perversement) : “Il faut croire que Bernanos n’aurait pas désavoué les Brasillach, les Rebatet, les Daudet”. Comme je l’ai dit plus haut, Bernanos est l’un des grands inspirateurs de la résistance (ce sont les résistants eux-mêmes qui le disent). Dés l’appel du 18 juin, et même avant, il refuse ...


... de toutes ses forces l’armistices et invite “tous les français à se rallier à l’Histoire de France”. Ses deux fils rejoignent aussitôt la France Libre. Brasillach fut, lui, un intellectuel tout dévoué à la propagande vichyste, serviteur de l’antisémitisme raciste et criminel de l’administration pétainiste qui n’avait à envier à celui des nazis.  L’engagement de Bernanos, toute l’évolution de sa vie même, constituent donc un désaveu absolu à ce que fut Robert Brasillach. Dans une lettre datant de décembre 46, Bernanos confie d’ailleurs “avoir été régulièrement traîné dans la boue par “Je suis partout”. Dans cette même correspondance, il dit aussi, que “si dans la fièvre de la libération, toute l’équipe de “Je suis partout” avait été fusillée, j’aurais applaudi des deux mains....”.

A propos de Rebattet, qui écrivait dans le même journal, il est pour lui un “ennemi” dont chacun est “en droit de détester les idées”. Si ça n’est pas un désaveu, on peut se demander ce que c’est... Enfin, en ce qui concerne Léon Daudet, je vous renvoie à la rupture de Bernanos avec Charles Maurras, en 1932, et aux réactions si terriblement venimeuses et destuctrices de ce dernier, auxquels se sont ralliés son collaborateur Maurice Pujot et... Léon Daudet qui n’a pas été en reste, qualifiant notamment Bernanos “d’imposteur abject”.

Dés cette période, Bernanos est, et demeurera, pour “l’Action Française” un homme à abattre. Lorsqu’il écrira “Les Grands Cimetières sous la Lune”, et dénoncera les crimes des franquistes, commis avec la complicité du clergé espagnol, l’extrême droite le considérera définitivement comme un traître, avant que la seconde guerre ne clarifie encore plus nettement l’engagement de l’un et des autres... Voilà donc comment, et M. Jean Daniel ne peut l’ignorer, comment Bernanos a bien désavoué les trois individus dont il est ici question et, surtout, ce qu’ils représentaient...

Pour ce qui concerne la question de l’antisémitisme, on peut être effectivement choqué, à juste titre, par certaines phrases (même si elles sont, au final, très peu nombreuses) de “La Grande peur des bien-pensants” (1930). Cela étant dit, l’antisémitisme dont il est ici question rejoint celui qui consistait alors à associer la figure du juif à l’argent. C’est, alors, une forme d’anti-capitalisme qui, elle n’est pas excusable en tant que telle, n’a rien à voir avec le caractère raciste de l’antisémitisme nazi, et vichyste, qui précéda l’élimination des juifs. Il faut aussi se souvenir, comme l’écrit Jacques Julliard dans son dernier livre, qu’ au début du siècle “les trois-quart de la France étaient antisémites”, de cet "antisémitisme de mise", qui a pu gagner tant de consciences. Entre autres exemples, ce journal respectable qu’est aujourd’hui “La Croix” se targuait, à la même époque, “d’être le journal le plus anti-juif de France”. L’opinion de tous ces gens serait désormais très certainement considérée comme un délit, mais cela n’a aucun sens si on ne fait pas l’effort de re-situer tout cela dans son contexte... Car, depuis, la Shoah a eu lieu.
Ce qui est essentiel, et déterminant, c’est l’évolution de la pensée en cette période si troublée, et l’engagement qui fut celui des uns et des autres. C’est toujours notre engagement qui nous détermine, au delà des erreurs du passé. Or, Bernanos a très certainement évolué, tout en demeurant profondément fidèle à l’idée qu’il se faisait de la liberté, et de la défense de celle-ci. A partir de 1936, sa relation avec les juifs va changer. Et ce changement se produit aussi en réaction contre la propagande antisémite et raciste des nazis, qui commence alors à faire de nombreux adeptes en France (et pas seulement à l’extrême droite). Voici des extraits de textes qui témoignent de cette évolution. J’espère qu’ils vous éclaireront :

1) En 1938, “année munichoise”, Bernanos déclare : Aucun de ceux qui m’ont fait l’honneur de me lire ne peut me croire associé à la hideuse propagande antisémite qui se déchaîne aujourd’hui dans la presse dite nationale, sur l’ordre de l’étranger.

2) En 1939, il écrit dans “Nous autres Français” (Gallimard) : J’aimerais mieux être fouetté par le rabbin d’Alger que faire souffrir une femme ou un enfant juif. Il me semble, poursuit-il,  que si les agneaux de vos associations catholiques se mettent un jour à redouter le Juif, non pour la Chrétienté, mais pour eux-mêmes, vous les verrez manger du Juif et de la Juive, comme en Espagne, ils mangent du Rouge, et si vous leur parlez de racisme, ils répondront la bouche pleine : “Tous cela, c’est de la philosophie. L’épuration faite, nous en reparlerons. Mort aux Juifs !  Ces mots qui , comme les précédents, datent toujours d’avant-guerre, ne dénoncent-ils par anticipation la complicité, ou le rôle actif, des miliciens pétainistes, de la police de Vichy, de certains hauts dignitaires du clergé et d’une bonne part de cette bourgeoisie catholique que Bernanos exécrait, dans la stigmatisation puis l’extermination des Juifs durant la guerre ?

3) Dans “Race contre nation” (Le chemin de la croix des âmes - Editions du Rocher), Bernanos en appelle en décembre 40, à la “fraternité originelle des chrétiens”. Il constate que ceux-ci “se taisent”, “qu’ils regardent se détruire, dans les faits, dans les esprits, dans les consciences, une des conceptions les plus précieuses de l’histoire. Peut-être même, ajoute-t-il, n’ont-ils pas perdu tout espoir d’utiliser, par une manoeuvre habile, la paganisme renaissant, et par exemple de le laisser tranquillement exterminer les juifs et les francs-maçons”. Et il poursuit : “Si la religion de la race devait l’emporter un jour, elle anéantirait du même coup toute la grâce et la beauté du monde, elle en détruirait aussi tout le divin” (...) “Cette guerre est la guerre de la race. c’est pourquoi elle est une guerre d’extermination” “La nouvelle race élue, la race allemande, extermine les juifs ou les fait exterminer par les nations réduites au rôle de servantes, appelées à collaborer à la préservation du sang sacré, du sang des maîtres”.

4) En février 1943, dans un article intitulé “Nous vous jetterons sur le parvis” (in “Le Chemin de la Croix des Âmes”) Bernanos s’adresse au gouvernement français à propos du sort de l’ancien ministre de l’Intérieur Georges Mandel, qui sera assassiné par la milice le 7 juillet 1944 : ... Si vos maîtres ne nous rendent pas Mandel vivant, vous aurez à payer ce sang juif d'une manière qui étonnera l'histoire - entendez-vous bien, chiens que vous êtes - chaque goutte de ce sang juif versé en haine de notre ancienne victoire nous est plus précieuse que toute la pourpre d'un manteau de cardinal fasciste. Est-ce que vous comprenez bien ce que je veux dire, amiraux, maréchaux, excellences, éminences et révérences ?

5) Enfin, dans “L’honneur est ce qui nous rassemble” (in “Français si vous saviez” - 1948), texte déterminant, il déclare : Le mot d'antisémite est un mot mal né, un mot qui devait  tôt ou tard,  comme disent les bonnes gens,  "mal tourner", à l'exemple de tous ceux qu'on a formés sans grande dépense de jugement ni d'imagination, grâce à la particule prépositive anti. Hélas ! il n'est pas de mot du vocabulaire qui ne soit capable de diviser les hommes au point de les faire se haïr, mais il n'est d'honorable que ceux-là qui, le jour venu, sont capables de les réconcilier. Le mot d'antisémite n'a évidemment pas en lui cette vertu. (...) Le mot d'antisémite n'est pas un mot d'historien, c'est un mot de foule, un mot de masse, et le destin de pareils mots est de ruisseler, tôt ou tard, de sang innocent. (...) “Depuis deux mille ans, c’est bien ainsi par une espèce de substitution religieuse formidable qu’Israël nous apparaît sous les traits de celui qu’il vit lui-même un jour au seuil du prétoire de Pilate, le visage défiguré par les coups, sa robe blanche trempée du sang de la flagellation (...) "Ce qui a au cours des siècles opposé le monde chrétien au monde juif n’est sans doute qu’un malentendu mais c’est un malentendu fondamental, et qui en pénétrerait le sens connaîtrait du même coup peu-être la signification totale de l’Histoire. Autre chose est de haïr et autre chose est de méconnaître, et si nous avions le courage d’aller au-delà des apparences, nous devrions sans doute convenir que le plus grand malheur d’Israël n’est pas d’avoir été si constamment haï, c’est d’avoir été non moins constamment méconnu” (...) Je crois aussi que, le sachant ou sans le savoir, les opposants à l’insurrection obéissaient à une vieille conception juive de l’honneur, très étrangère à notre sensibilité, conformant ainsi à l’attitude immémoriale de leurs pères, depuis la dispersion. L’honneur juif, en effet, depuis deux mille ans, n’est pas de résister par la force, mais par la patience, car le but que se propose, que s’est toujours proposé ce peuple impérissable n’est pas de vaincre, mais de durer ; c’est de la durée qu’il attend le salut. Qu’Israël dure, et le très haut vaincra pour lui. En attendant, l’honneur, c’est de rester juif et de faire des enfants juifs, d’en faire assez pour que tous les pogroms ne puissent anéantir ce que Dieu a ordonné de conserver » (...) "Les charniers refroidissent lentement, la dépouille des martyrs retourne à la terre, l'herbe avare et les ronces recouvrent le sol impur où tant de moribonds ont sué leur dernière sueur, les fours crématoires eux-mêmes s'ouvrent béants et vides sur les matins et sur les soirs, mais c'est bien loin maintenant de l'Allemagne, c'est aux rives du Jourdain que lève la semence des héros du ghetto de Varsovie...


Bernanos applaudissait ici la création de l’état d’Israël, dont il fut le témoin, quelques semaines avant de mourir...

 

Par loup de canlers (lecteur).

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