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25.09.2009

Le parti d'en rire ou quand le militantisme s’arme d’humour

 

nez-rouge.jpgIls mettent des nez rouges au défilé du

14 Juillet, plongent dans le noir le quartier

Saint-Michel, improvisent une fête lors

d’une visite collective d’appartement, font

irruption au Rotary Club de Neuilly où dîne Jean

Sarkozy ou dans une AG de Natixis… Ce sont des

activistes non-violents, anars, écolos, militants de

gauche, intellos précaires, intermittents du spectacle,

anciens condisciples de Sciences-Po.

 

Animés d’un nouvel esprit de contestation, ils

sont regroupés dans des collectifs tels que Les

Désobéissants, Jeudi Noir, le Clan du Néon, Anti-

Pub, Casseurs de Pub, les Dégonflés anti-4X4, le

Gouvernement Off…

«Le deuxième degré permet de faire passer plus

facilement le message, de décliner beaucoup

de thèmes et d’aborder nos cibles avec plus de légèreté,

explique Manuel Domergue, coanimateur de

Sauvons les riches et Jeudi Noir. La force subversive

de l’humour les empêche de se présenter en victimes. On

use envers eux de la même compassion qu’ils expriment

envers les classes populaires.»

 

Dans ce petit monde aux frontières poreuses,

tous se connaissent, communiquent en réseau,

passent d’un collectif à l’autre en fonction des

actions à mener.

Consciente du fait que les batailles

politiques sont aussi des batailles de communication,

cette mouvance ne se reconnaît pas

dans les modes d’action traditionnelles. Comme

son aînée Act Up, elle privilégie les coups d’éclat.

A défaut de défiler en cortège, leurs interventions

symboliques et festives interpellent les jeunes,

les pouvoirs publics et les médias. «Comme

on n’est pas nombreux, on est forcés d’innover, d’inventer

des formes attrayantes sur des sujets graves, comme

la cherté des loyers dans le but

de faire des images», explique

Manuel Domergue, 27 ans.

Environ 200 sympathisants de

20 à 32 ans et un noyau dur

d’une vingtaine d’activistes gravitent

dans l’orbite de Jeudi

Noir et Sauvons les riches, peu

désireux «d’être sur le mode sacrificiel de l’engagement».

Pas d’afflux massif de jeunes de moins de

25 ans, mais une sociologie très mixte caractérise

les Désobéissants, qui évaluent le nombre de

personnes ayant été formées au militantisme

altermondialiste en France et en Belgique à 2500,

au cours de 90stages. Les trois quarts d’entre

eux n’avaient, auparavant, jamais milité. «Il s’agissait

de gens en colère, en révolte, qui depuis longtemps

avaient envie d’agir, explique Xavier Renou. Il y

avait parmi eux des retraités, des cadres, des paysans,

des syndicalistes…»

Les Désobéissants fédèrent

aujourd’hui près de 6000 personnes. Comment

expliquer un tel engouement? «On met la pratique

et la solidarité avant l’idéologie, avance Xavier Renou.

On détermine des valeurs communes et des adversaires

communs: néolibéralisme, sexisme, toutes les formes

de domination. On est dans une logique de convergence

des luttes.»

Oeuvrant sans chef, les Désobéissants

rassemblent une majorité

de non encartés, les autres

étant issus de tout le spectre de

la gauche. Jeudi Noir a été créé

en 2006 à l’instigation des animateurs

de Génération Précaire,

un mouvement visant à dénoncer l’exploitation

des stagiaires au sein de l’entreprise. Les

Désobéissants sont nés sous l’impulsion de Xavier

Renou, 36 ans, ex-salarié de Greenpeace.

Parmi ces nouveaux militants, plus personne

ne rêve au grand soir et encore moins aux prophéties

dogmatiques. «Les appareils politiques n’ont

pas encore trouvé la formule pour capter cette nouvelle

énergie. Et puis, porter une étiquette est un frein»,

admet Julien Bayou, 29 ans, animateur de plusieurs

collectifs.

desobeissants.jpg

Prise à partie à plusieurs reprises par les jeunes

de Jeudi Noir quand elle était ministre du

Logement –entre mai 2007 et juin 2009– l’actuelle

présidente du Parti chrétien démocrate,

Christine Boutin, confesse que «ce type d’action

est plutôt adapté à notre époque et intelligent. Il faut

être inventif et utiliser les nouveaux outils comme

Internet et les mails. On peut porter des revendications

profondes dans la non-violence et la joie !»

De fait, Jeudi Noir se félicite d’avoir tiré la sonnette

d’alarme pour le logement étudiant.

Nicolas Sarkozy a indexé l’inflation des loyers sur

l’indice des prix à la consommation. Le dépôt de

garantie est passé à un mois et le plafond des ressources

a été baissé pour l’octroi de logements

sociaux. Chez les Désobéissants, on se réjouit

d’avoir empêché l’expulsion de sans-papiers,

contribué à la libération de Maria Petrella, ex membre

des Brigades Rouges, groupe terroriste

italien d’extrême gauche. Aux élections européennes

de mai a été élue Karima Delli, cofondatrice

de Sauvons les riches et Jeudi Noir sous

l’étiquette Europe Ecologie.

 

Le militantisme s’arme d’humour et de non-violence

Le Monde du 24 septembre 2009

par Macha Séry