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07.01.2010

Maintenant, je comprends pourquoi Kléber Haedens ne figure pas dans mon encyclopédie en dix volumes

 

Je viens de lire l’Histoire de la littérature française de Kléber Haedens, car j’étais très curieux de découvrir cet ouvrage et son auteur.

 

Quelle déception ! Certes, ce livre est exhaustif, et c’est bien la seule qualité que je lui ai trouvée. Il dresse un catalogue à peu près complet des auteurs et des œuvres, mais sur le fond l’ensemble est d’une légèreté déconcertante.

 

Haedens reprend d’abord tous les poncifs biographiques : il montre évidemment Proust « dans une chambre noire » (p. 447), décrit Flaubert comme « une sorte de moine » (p. 366), il ne manque pas Stendhal dictant La Chartreuse de Parme « en cinquante-deux jours » (p. 330) et « se donn[ant] comme but d’existence "la chasse au bonheur" » (p. 328).

 

Tout cela est vrai, mais ne présente guère d’intérêt dans un projet aussi ambitieux que celui qu’Haedens s’est assigné. Surtout, l’auteur n’en tire pas de conséquences, il ne passe jamais de la vie à l’œuvre. Pourtant, à propos de cette bien connue "chasse au bonheur", il aurait fallu employer des termes qualifiant clairement Stendhal : épicurien, individualiste, égotiste et préciser que cette philosophie de vie, non seulement allait bien au-delà de la simple recherche du plaisir mais encore qu’elle anime la plupart de ses personnages. Haedens ne voit à peu près en Stendhal qu’un raté et il occulte la passion qu’il avait pour l’énergie (la "virtù"), les héros supérieurs, l’Italie du XVIe siècle, ce qui l’a conduit à écrire les Chroniques italiennes, dont il n’est malheureusement pas question dans l’ouvrage.

 

Mais le reproche majeur à faire au livre d’Haedens est l’absence de toute critique stylistique pertinente. À la page 454, on lit par exemple ceci : « Le roman-cycle fut une des modes de l’entre-deux-guerres ». Outre le fait que le terme de « mode » est peu approprié dans une étude littéraire (on aurait plutôt attendu « genre » ou « forme »), force est de constater que cette affirmation est fausse. Le « roman cycle » ou « roman fleuve » est une ancienne tradition qui remonte au roman précieux du XVIIe siècle, et que Balzac avait réutilisée au XIXe. Haedens aurait pu se demander pourquoi ce genre a retrouvé une étonnante vitalité entre 1920 et 1940. Et il aurait pu tenter une hypothèse : nous étions alors au lendemain de la première guerre mondiale qui venait de bouleverser le monde. Certains auteurs ont pu avoir la tentation d’embrasser toute la réalité sociale d’une époque à travers l’histoire individuelle et collective, faisant du roman un équivalent moderne de l’épopée. Mais rien de cela n’est dit.

 

Haedens est affligeant quand il indique que Flaubert a atteint « à une sorte de perfection dans la "narration française", telle que la conçoivent les professeurs de troisième » (p. 367). Quel manque total de finesse à l’égard d’un auteur qui fait l’objet de recherches dans les universités du monde entier ! Dans une étude (sérieuse celle-là) de Pierre-Marc de Biasi (in La Génétique des textes, Nathan, 2000), on comprend que le travail d’écriture de Flaubert avait en réalité un but éminent, faire sens, même à l’insu du lecteur. P-M de Biasi passe ainsi en revue les dix versions successives de la première phrase de La Légende de saint Julien l’Hospitalier. Première version : « Jamais il n’y eut meilleurs parents, ni d’enfant mieux élevé que le petit Julien. Ils habitaient un château sur une montagne boisée, ensemble dans le paysage … ». Version définitive : « Le père et la mère de Julien habitaient un château, au milieu des bois, sur la pente d’une colline ». Flaubert accomplit un travail de simplification, passe de deux phrases à une seule et fait le choix fondamental, dès le début du texte, de situer le château sur la pente afin de suggérer au lecteur, comme l’indique P-M de Biasi, qu’on peut interpréter la vie de Julien « à la fois d’en haut, du point de vue de la Providence, et d’en bas, du point de vue de la clinique psychiatrique ». On est bien loin des dissertations hésitantes d’une classe de troisième, M. Haedens !

 

Sur le style encore, Haedens ose parler de « la platitude de la langue » (p. 371) de Maupassant. Sans doute n’avait-il pas lu la célèbre préface de Pierre et Jean intitulée « Le Roman », où Maupassant explique ses choix stylistiques : « Il n’est point besoin de vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois qu’on nous impose aujourd’hui sous le nom d’écriture artiste, pour fixer toutes les nuances de la pensée ». Maupassant avait volontairement pris le parti de la justesse, de la mesure et de la clarté : ne renouait-il pas en cela avec le classicisme ? Cela échappe complètement à notre pauvre Haedens.

 

Enfin, ce dernier « passe » complètement à côté de Proust (sans jeu de mots !). Il ne dit jamais quel est son apport fondamental, la révolution copernicienne qu’il provoque dans la littérature, à savoir que le monde est d’abord une fabrication du moi avant d’être une réalité objective, et qu’il y a autant de mondes possibles qu’il y a de sujets pensants. Haedens n’a vu que le mémorialiste mondain, le poète qui décrit une fleur, le rêveur envahi par le songe … Et le summum est cette ineptie, à peine digne cette fois d’un élève de 6ème, parce qu’elle pourrait s’appliquer à n’importe quelle œuvre de fiction, de Harry Potter à La Recherche du Temps Perdu, en passant par Lucky Lucke et Joséphine ange gardien : « En lisant Proust, on ressent l’impression de vivre une autre vie » (p. 448). C’est à mourir de rire !

 

Maintenant, je comprends pourquoi Kléber Haedens ne figure pas dans mon encyclopédie en dix volumes : il n’y mérite pas même une ligne.

 

 

                                                                                                                      Baron de Charlus

 

Commentaires

Je comprends que vous n'appréciez pas le style et le contenu de Haedens...

Seulement j'ai l'impression que vous analysez son travail un peu comme un amateur de peinture classique jugerait une oeuvre d'un peintre moderne dont les codes lui sont étrangers.

C'est bien parce que Haedens se place en décalage avec l'analyse littéraire classique que sa lecture est intéressante. Il propose je crois une autre voie, qui en soi, n'est pas meilleure, mais différente et donc enrichissante.

Alors que dans le registre classique les analyses foisonnes et que l'on peut y consacrer des pans de murs entiers, la nouvelle vague est plus difficile à circonscrire car moins imposante.

Par exemple, le fait d'employer des mots simples pour parler d'oeuvres classique ne reflète absolument pas la qualité d'une analyse, relisez platon et ses sophistes, il fait simplement oeuvre de pédagogie, il entend mettre son analyse à la portée de tout le monde.

Ca n'a pas le craquant et le vieillot d'un Lagarde et Michard, j'en conviens.

Pour terminer, le fait d'être d'accord avec KH n'a rien à voir, il ne suffit pas d'aller dans le sens d'un auteur pour apprécier son oeuvre... Son regard sur la littérature n'est pas moins digne d'intérêt qu'un autre auteur, ce à quoi visiblement vous ne sauriez vous résoudre ?

Ecrit par : Nicolas | 07.01.2010

Bonjour,
Ce texte a été envoyé à ce blog, sans doute parce que désormais quand on tape Haedens sur Google, on tombe inmanquablement ici.

J'ai trouvé cela amusant quand on sait que le maire de la ville voulait offrir ce livre à tous les enfants de sixième du collège qui aurait du porter le nom de Haedens.

Pour ma part, je suis d'accord avec vous que tous les auteurs peuvent être dignes d'intérêt ne serait-ce que pour étendre sa propre culture. Haedens comme les autres.

Faut-il le répéter si nous nous sommes opposés à ce nom, ce n'est pas pour la qualité ou la non-qualité de son oeuvre (mince quand même) mais pour le symbole antirépublicain qu'il est, incompatible avec l'école de la République et les valeurs qu'elle est censée véhiculer. Lisez et recommandez Haedens, si cela vous chante, j'ai bien lu pas mal de Hitler pendant mes études de la langue allemande.

Ecrit par : Philbert | 07.01.2010

Ce post très intéressant nous montre aussi que Haedens était un auteur mineur et la qualité de ses réflexions pas vraiment rigoureuse.

Le fait de choisir Haedens comme nom de collège en se basant, comme l'avait dit Philippe Juvin, uniquement sur la qualité et l’importance de l’œuvre est un petit peu léger.

Diable mais si ce n’est pas pour des raisons littéraires que ce nom avait été choisi, pour quelles raisons cela peut t‘il être ?

Ecrit par : eric | 07.01.2010

Haedens à La Garenne Colombes c'est du passé, parlons d'autres choses. Il y a tant de sujets intéressants !!

Ecrit par : Patrice | 07.01.2010

A propos, qu'est devenue cette fichue plaque KH ?

Ecrit par : Paolo Grattez | 07.01.2010

Du passé Haedens ?

C'est à force d'entrendre que Vichy, Maurras ou Pétain c'est du passé" que certains se permettent maintenant de nous "recloquer" en douce les mêmes valeurs. Non, ce n'est pas du passé ! On a bien essayé de nous mettre l'extrême droite sur un fronton de collège au nom de la liberté de pensée ...Pas d'accord ! C'était il y a encore moins d'un an.

Ecrit par : Victor L. | 07.01.2010

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